Intime conviction

 

Dès les premières lignes du dernier roman de Tanguy Viel, «Article 353 du Code pénal» paru aux éditions de Minuit cette année, nous sommes dans la tête de Martial Kermeur, ouvrier spécialisé licencié de l’arsenal de Brest avec une somme coquette. Et avec lui, nous mettons fin à la vie du promoteur immobilier Lazenec. Mais si les trois premières pages de ce pseudo polar nous révèlent tout de suite qui est l’assassin et qui est la victime, les suivantes sont le récit précis, documenté, « d’une vulgaire histoire d’escroquerie » comme dit le héros, au cours duquel  les rôles vont s’inverser et l’assassin passer au rang de victime. Le roman tout entier est le face à face de Kermeur et du juge d'instruction. Kermeur n’attend que lui pour entamer cette longue narration et exhumer enfin du plus profond de son cœur tout ce qu’il a vécu et caché à tous, « l'enchaînement de mauvaises réponses à un grand questionnaire », le pourquoi en tant qu’individu on fait des choix à l’opposé de ce que l’on est réellement. Des phrases très longues, hachées par une multitude de virgules, s'enchainent, se bousculent, puis soudainement prennent des chemins de traverse quand les souvenirs remontent à la surface, souvent à propos de son fils, révélant de manière intense ce qu’il se passe dans la tête de Kermeur et la vraie personnalité de ce taiseux. Ce sont des années de rumination contre lui-même, ses faiblesses, ses renoncements face à celui qui a « joué » avec l’argent des autres, qui enfin trouvent à s'exprimer. Mais son histoire va bien au-delà de lui ; à travers elle, Tanguy Viel dresse le portrait de notre société grignotée dans ses fondements par l’attrait du toujours plus d’argent et du pouvoir qu’il donne. Et clôt le roman par la définition de l’article 353 du Code pénal - qui donne son titre au livre - faisant de l’intime conviction du juge d’instruction la nôtre par la même occasion.